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Entretien : Charlotte Madore-Delpech

Tous les yeux étaient récemment rivés sur les Etats-Unis en raison des élections présidentielles… Nous y restons encore un peu, avec Charlotte Madore, qui revient de six années à Boston – capitale du Massachussets qui accueille notamment à Harvard, Cambridge ou le MIT. Entretien.

Bordeaux Neurocampus : C’est en fait un retour à Bordeaux pour vous. Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas ?

Charlotte Madore-Delpech : Je viens en effet de rentrer des États-Unis en avril 2020 après 6 années réalisées dans le laboratoire du Dr Butovsky au Brigham and Women’s Hospital et à Harvard Medical School, à Boston où j’étais instructrice en neurologie.

Je suis actuellement détentrice d’un financement Aide au retour de la FRM (Fondation pour la Recherche Médicale) dans l’équipe de Sophie Layé et Lucile Capuron. J’ai donc retrouvé mes anciens collègues de NutriNeuro, car j’y ai  passé ma thèse en 2013, sous la direction de Corinne Joffre.

Mes intérêts de recherche sont focalisés sur la compréhension des systèmes de régulation de la microglie, au cours des périodes neurodéveloppementales et en conditions neurodégénératives. La microglie est le système de l’immunité innée cérébral, et elle est connue classiquement pour son rôle dans la neuroinflammation consécutivement à des lésions du système nerveux central et dans les pathologies  neurodégénératives. Cependant, depuis quelques années, les chercheurs ont découvert que la microglie joue un rôle fondamental dans la mise en place et l’activité des réseaux neuronaux, notamment au cours du développement. Je cherche donc à comprendre comment la microglie est régulée via des facteurs génétiques et environnementaux au cours de ces périodes. Il s’agit de déterminer en quoi l’altération précoce de la microglie contribue – sans que ce soit la seule cause – à l’apparition de pathologies cérébrales tardives.

Vous avez publié en début d’année la revue « Microglia, Lifestyle Stress, and Neurodegeneration« . Pouvez-vous nous en dire plus ?

Cette revue que je viens de publier résume globalement mes intérêts de recherche et découle de ma publication dans Immunity en 2017 sur la découverte d’un nouveau phénotype microglial commun à plusieurs pathologies neurodégénératives dont la sclérose latérale amyotrophique et la maladie d’Alzheimer.

La première partie de mes travaux de post doc a consisté à montrer la présence, dans ces pathologies, d’un phénotype microglial chez la souris et chez l’Homme, associé à un contexte neurodégénératif que j’ai appelé MGnD. En d’autres mots, en cherchant les caractéristiques des microglies de plusieurs pathologies neurodégénératives, j’ai pu me rendre compte qu’il y avait une signature moléculaire commune de ces microglies au niveau transcriptomique (c’est-à-dire au niveau de l’ADN) et protéomique (c‘est-à-dire dans les protéines).

* Signalisation cellulaire : Système de communication qui régit les processus fondamentaux des cellules et coordonne leur activité.

** Phagocytose : Processus cellulaire par lequel certaines cellules peuvent ingérer des particules étrangères solides d’échelle micrométrique.

*** Apoptose : Mort cellulaire programmée. Processus par lequel des cellules déclenchent leur autodestruction en réponse à un signal.

J’ai montré que ce phénotype était induit par une voie de signalisation* dépendante d’une protéines spécifiques, TREM2-APOE, initiée par la phagocytose** de neurones apoptotiques***.

Par la suite j’ai constaté que ce phénotype présent au cours des pathologies neurodégénératives était également présent au cours du développement cérébral. Je me suis donc intéressée à la régulation de ce phénotype pendant les périodes précoces.

Dans ce contexte j’ai obtenu l’aide au retour de la FRM ainsi qu’un financement post-agreenskills de l’INRAE me permettant d’étudier les effets d’altérations lipidiques périnatales de ce phénotype sur la mise en place du cerveau, potentiellement à l’origine de conséquences délétères au cours de la vie. J’ai par ailleurs choisi à Nutrineuro d’accentuer mes recherches chez l’Homme en développant des études translationnelles.

Vous venez de réintégrer Nutrineuro après 6 années à Boston, qu’avez-vous retiré de cette expérience ?

Cette expérience de 6 années à Harvard Medical School à Boston m’a apportée énormément sur le plan professionnel par un énorme enrichissement scientifique et la création de nombreuses collaborations académiques et industrielles. J’ai toujours de fortes collaborations avec mon ancien laboratoire, mais aussi avec mon ancien réseau à Boston, aux Etats-Unis, et même au-delà. L’article dans Immunity a donné lieu de nombreuses conférences d’où le développement d’un réseau assez important.

Le système de recherche sur Boston a de nombreux avantages liés notamment à la présence d’un Hub scientifique mondial permettant une accessibilité aux technologies de pointes, aux conférences et à des moyens sans commune mesure. A Boston, beaucoup de compagnies pharmaceutiques ou de startup en biotechnologies arrivent, ou sont déjà arrivées. A Cambridge, un grand nombre de startups se créent chaque mois, c’est impressionnant.

Vous venez de vous créer un compte Twitter. Quelles ont été vos motivations pour cela ?

Je devais le faire depuis longtemps mais je viens de sauter le pas, pour diffuser très simplement et très largement une offre d’emploi. Cela devient un outil indispensable effectivement. J’avais plus l’habitude de LinkedIn mais Twitter est un media très utile pour suivre l’actualité notamment les articles qui sont publiés. En complément des contacts réels, bien entendu !

Le neurone est connu du grand public… La glie est-elle trop peu médiatisée ?

Pas dans le monde scientifique : on voit de plus en plus d’articles sur la glie et la microglie notamment. Il existe aujourd’hui un GdR (Groupe de Recherche) français sur la neuroinflammation et microglie, ce qui montre la visibilité de ces recherches. Il y a d’ailleurs un symposium très bientôt, le 3 décembre.

Mais pour le grand public, il est vrai que malgré son importance elle fait moins la une des articles. On l’a longtemps pensée inerte mais par exemple dans la recherche sur la maladie d’Alzheimer, avec les techniques d’analyse, on s’est rendu compte que la plupart des gènes impliqués dans cette maladie étaient des gènes microgliaux. D’où un regard qui s’est déplacé.


D’autres nouveaux arrivants à Nutrineuro

Deux chargés de Recherche INRAe ont intégré Nutrineuro récemment. Il s’agit de Jean-Christophe Delpech et David Jarriault.

David Jarriault
David Jarriault
Jean-Christophe Delpech
Jean-Christophe Delpech

Axes de recherche de Jean-Christophe Delpech :
– Role of nutrition in the modulation of neuroinflammation and cognitive deficits during aging.
– Role of microglia in neurodevelopmental disorders.
En savoir plus sur Jean-Christophe Delpech

Axes de recherche de David Jarriault
– Nutrition and olfactory system
– Odors ans food behavior
En savoir plus sur David Jarriault


Sélection de publication de Charlotte Madore

  1. Madore C, Yin Z, Leibowitz J, Butovsky O. Microglia, Lifestyle Stress, and Neurodegeneration. Immunity. 2020 Feb 18;52(2):222-240. doi: 10.1016/j.immuni.2019.12.003. Epub 2020 Jan 7. PMID: 31924476; PMCID: PMC7234821.
  2. Krasemann S, Madore C, Cialic R, Baufeld C, Calcagno N, El Fatimy R, Beckers L, O’Loughlin E, Xu Y, Fanek Z, Greco DJ, Smith ST, Tweet G, Humulock Z, Zrzavy T, Conde-Sanroman P, Gacias M, Weng Z, Chen H, Tjon E, Mazaheri F, Hartmann K, Madi A, Ulrich JD, Glatzel M, Worthmann A, Heeren J, Budnik B, Lemere C, Ikezu T, Heppner FL, Litvak V, Holtzman DM, Lassmann H, Weiner HL, Ochando J, Haass C, Butovsky O. The TREM2-APOE Pathway Drives the Transcriptional Phenotype of Dysfunctional Microglia in Neurodegenerative Diseases. Immunity. 2017 Sep 19;47(3):566-581.e9. doi: 10.1016/j.immuni.2017.08.008. PMID: 28930663; PMCID: PMC5719893.
  3. Madore C, Leyrolle Q, Lacabanne C, Benmamar-Badel A, Joffre C, Nadjar A, Layé S. Neuroinflammation in Autism: Plausible Role of Maternal Inflammation, Dietary Omega 3, and Microbiota. Neural Plast. 2016;2016:3597209. doi: 10.1155/2016/3597209. Epub 2016 Oct 20. PMID: 27840741; PMCID: PMC5093279.
  4. Madore C, Nadjar A, Delpech JC, Sere A, Aubert A, Portal C, Joffre C, Layé S. Nutritional n-3 PUFAs deficiency during perinatal periods alters brain innate immune system and neuronal plasticity-associated genes. Brain Behav Immun. 2014 Oct;41:22-31. doi: 10.1016/j.bbi.2014.03.021. Epub 2014 Apr 13. PMID: 24735929.
  5. Kempthorne L, Yoon H, Madore C, Smith S, Wszolek ZK, Rademakers R, Kim J, Butovsky O, Dickson DW. Loss of homeostatic microglial phenotype in CSF1R-related Leukoencephalopathy. Acta Neuropathol Commun. 2020 May 19;8(1):72. doi: 10.1186/s40478-020-00947-0. Erratum in: Acta Neuropathol Commun. 2020 Jun 24;8(1):90. PMID: 32430064; PMCID: PMC7236286.
  6. Mazaheri F, Snaidero N, Kleinberger G, Madore C, Daria A, Werner G, Krasemann S, Capell A, Trümbach D, Wurst W, Brunner B, Bultmann S, Tahirovic S, Kerschensteiner M, Misgeld T, Butovsky O, Haass C. TREM2 deficiency impairs chemotaxis and microglial responses to neuronal injury. EMBO Rep. 2017 Jul;18(7):1186-1198. doi: 10.15252/embr.201743922. Epub 2017 May 8. PMID: 28483841; PMCID: PMC5494532.

 


Publication: 25/11/20
Mise à jour: 01/12/20