Macaques et neuroprothèse

Le 10 novembre 2016

A brain–spine interface alleviating gait deficits after spinal cord injury in primates  Marco Capogrosso, Erwan Bezard, Jocelyne Bloch, Grégoire Courtine et al.
Nature 539,284–288(10 November 2016) doi:10.1038/nature20118
Published online 09 November 2016

Des primates non-humains retrouvent le contrôle d’un membre inférieur paralysé suite à une lésion de la moelle épinière grâce à une interface cerveau-moelle épinière (dite « neuroprothèse ») qui agit comme un pont sans fil entre le cerveau et les centres de la marche dans la moelle épinière, court-circuitant ainsi la lésion. Cette neuroprothèse a été développée par un consortium international mené par l’École Polytechnique de Lausanne (EPFL) au sein duquel l’Institut des Maladies Neurodégénératives (Université de Bordeaux) a mené la validation expérimentale. Les résultats sont publiés aujourd’hui dans la revue Nature. Un essai clinique a d’ors et déjà été initié à l’Hôpital Universitaire de Lausanne afin de tester les effets thérapeutiques de cette neuroprothèse chez des patients souffrant de lésions de la moelle épinière. (cliquez sur l’image pour agrandir)

Projets financés par l’UE – NEUWALK, WALK AGAIN et E-WALK
http://cordis.europa.eu/news/rcn/126669_fr.html


Erwan Bézard
Erwan Bézard

Erwan Bézard :  Le 23 juin 2015, un premier singe macaque porteur d’une lésion de la moelle épinière a pu retrouver le contrôle de sa jambe paralysée, et donc remarcher, grâce à une neuroprothèse appelée « interface cerveau-machine » court-circuitant la lésion, restaurant la communication entre le cerveau (lieu de genèse des actions volontaires) et la région de la moelle épinière produisant les mouvements des membres inférieurs.

Cette interface cerveau-machine (i) enregistre l’activité cérébrale liée à l’intention de marche, (ii) décode celle ci, et (iii) transmet cette information à la moelle épinière sous la lésion (iv) au travers d’électrodes qui stimulent les réseaux nerveux qui activent les muscles des jambes pendant la locomotion naturelle. Ainsi, seuls les mouvements souhaités par le singe sont produits.

Cette neuroprothèse a été conçue à l’EPFL (Lausanne, Suisse) et techniquement développée par un groupe international composé de Medtronic (USA), l’Université Brown (USA) et le Fraunhofer ICT-IMM (Mayence, Allemagne). Elle a ensuite été testée chez le primate en collaboration avec l’Université de Bordeaux et le Centre Hospitalier Universitaire de Lausanne (Suisse).

“C’est la première fois qu’une neuroprothèse restaure la marche chez le primate » déclare Grégoire Courtine, Professeur à l’EPFL, qui conduit le consortium.
“Les singes furent capables de re-marcher immédiatement après la mise en fonction de la neuroprothèse. Aucun entrainement ne fut nécessaire » indique

« Il faut toutefois conserver à l’esprit les nombreux challenges qui nous font face », soulignent les chercheurs, « si les essais cliniques débutent, cela prendra quelques années avant que de telles approches soient disponibles en clinique » . Le cerveau est un immense réseau de cellules appelées neurones communiquant entre eux via des impulsions électriques qui constituent le véhicule de l’information. Ces impulsions sont enregistrables et, potentiellement, interprétables.

Dans le système nerveux intact, le signal produisant la marche est généré au niveau du cortex moteur. Ces signaux sont ensuite envoyés, via la moelle épinière, à la région lombaire de la moelle épinière qui contient également de complexes réseaux de neurones contrôlant l’activation des muscles des jambes responsables de la marche. Des faisceaux de fibres nerveuses provenant du cerveau fournissent l’information requise à ces neurones quant à l’intention (ou non) de marcher, leur permettant alors de s’activer pour la réalisation du comportement. Une stimulation électrique délivrée précisément est donc capable de moduler ces réseaux et de produite l’activation désirée des muscles des jambes.
Une lésion de la moelle épinière interrompt partiellement ou complètement le transfert de ces signaux électriques conduisant à la paralysie. Toutefois, le cortex moteur produit toujours l’activité électrique liée au désir de marche (ou de mouvement) et les réseaux de neurones situés sous la lésion sont toujours intact et conservent donc la capacité de produire des mouvements.

L’interface cerveau-moelle épinière court-circuite la lésion, en temps réel et sans fil. La neuroprothèse décode l’activité du cortex moteur, décode l’information pour « comprendre » le désir de marche ou de quelque mouvement que ce soit, transmet cette information au stimulateur qui active les électrodes situées à la surface de la moelle épinière sous la lésion pour permettre l’activation contrôlée des muscles des jambes, en fonction du réel souhait de l’animal.

L’interface est composée d’un implant cérébral, d’un système d’enregistrement, d’un ordinateur, d’un stimulateur implantable et d’un implant spinal.
L’implant cérébral est une puce comparable à celles déjà utilisées chez l’Homme pour des recherches sur les interfaces cerveau-ordinateur, et placée chirurgicalement sur le cortex moteur. Développé à l’Université Brown en collaboration avec les Drs Borton et Nurmikko, le système d’enregistrement est connecté à l’implant cérébral pour enregistrer l‘activité électrique et relayer celle-ci en temps réel et sans fil à un ordinateur.

L’ ordinateur décode l’activité électrique cérébrale, grâce à des algorithmes spécifiquement développés pour détecter le souhait du singe d’effectuer tel ou tel mouvement en temps réel. Cette « intention » de se mouvoir est transformée en protocole de stimulation de la moelle épinière qui est transmis, là encore sans fil, au stimulateur spinal implantable.
Le stimulateur spinal implantable est du type de ceux communément utilisés pour la stimulation cérébrale profonde (exemples : maladie de Parkinson, tremblement essentiel). Tim Denison et son chez Medtronic Inc. ont développé un nouveau firmware pour recevoir les informations en temps réel. Le stimulateur spinal implantable reçoit le protocole de stimulation sans fil et délivre les instructions de stimulation via l’implant spinal.

L’implant spinal est composé de 16 électrodes préalablement placées chirurgicalement à des endroits précis sur la partie dorsale de la moelle épinière lombaire. Cet implant spinal active synergistiquement les groupes de muscles de la jambe paralysée, permettant la production des mouvements de flexion et d’extension nécessaires à la marche. Le Pr. Jocelyne Bloch, neurochirurgienne, du Centre Hospitalier Universitaire de Lausanne (CHUV) conduit maintenant l’essai clinique qui permettra d’évaluer, chez l’homme, le potentiel thérapeutique de cette technologie qui permettrait à des patients avec des lésions incomplètes de la moelle épinière de remarcher.

Voir l’article du journal Le Monde

Université de Bordeaux/ Erwan Bezard / Institut des Maladies Neurodégénératives/ Université de Bordeaux France / T: +33 557 571 687 / M: +33 675 603 717 / E:

Dernière mise à jour le 06.12.2016

Publication: 10/11/16
Mise à jour: 21/03/18