Les mandarins d’Arthur Leblois

Arthur Leblois, qu’est ce qui vous a emmené à travailler sur l’oiseau chanteur ? 

J’ai commencé à travailler sur le modèle de l’oiseau chanteur au cours de mon post-doctorat, dans le laboratoire de David Perkel (University of Washington, Seattle, Etats-Unis). En effet, après une thèse passée à essayer de comprendre le lien entre activité pathologique dans les GB et les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson, induite artificiellement chez le singe, je souhaitais recentrer mon activité sur la question, plus fondamentale (moins clinique), du rôle de ces structures chez le sujet sain. L’oiseau chanteur (et particulièrement le diamant mandarin, Taeniopygia guttata), rencontré dans mes lectures scientifique sur le sujet, m’est apparu comme un modèle particulièrement pertinent et je suis parti me former à Seattle.

D’une part, j’ai pu montrer pendant mon post-doc que la boucle GB-thalamo-corticale relative au chant chez l’oiseau présente des délais de transmission étonnamment courts, qui peuvent s’expliquer par une spécialisation à la fois anatomique (axones très larges propageant rapidement les potentiels d’actions) et physiologique (mécanisme de désinhibition permettant d’activer très rapidement les neurones thalamique, prêts à décharger du fait de leurs propriétés de rebond post-inhibiteur).

D’autre part, j’ai étudié le rôle de la dopamine dans le réseau, qui y module l’activité neuronale comme chez les mammifères. J’ai montré que la dopamine permet d’adapter le chant au contexte social dans lequel il est produit, en combinant enregistrements életrophysiologiques et manipulations pharmacologiques chez l’oiseau pendant le chant. En effet, lorsque le mâle chante en présence d’une femelle la libération de dopamine dans les GB réduit l’activité évoquée dans ce circuit et dans les cibles thalamo-corticales, et réduit ainsi la variabilité du chant, permettant la production d’un chant très stéréotypé dans ce contexte.

Suite à trois ans de post-doctorat à Seattle, j’ai obtenu des financements français (ANR) et Européen (programme Marie Curie) pour initier un programme de recherche sur le rôle des GB dans l’apprentissage du chant chez l’oiseau. Ce programme de recherche, démarré à Paris au sein de l’Université Paris Descartes, est toujours en cours et se poursuivra à Bordeaux, où je m’installe actuellement au sein de l’IMN. Ce projet est interdisciplinaire, et présente des composantes théorique et expérimentale.

Qu’avez vous montré récemment dans votre dernière publication ?
Dans un papier qui doit paraître dans les semaines qui viennent (dans Nature Communication), nous avons notamment combiné l’étude théorique d’un modèle de réseau de neurones, une analyse des chant produits lors du babillage et une étude électrophysiologique de l’activité des neurones de l’oiseau pendant la production du chant pour montrer qu’un mécanisme original de production de variabilité est à l’œuvre dans le réseau relatif au chant chez le mandarin. De plus, en comparant les vocalisation produites par les jeunes oiseaux et par des bébés de 4 à 6 mois pendant le babillages, nous montrons que leur comportement montre des similarités et qu’un mécanisme similaire est probablement mis en jeu chez l’Homme.

Quels sont vos projets de recherche ici à l’IMN ?  L’apprentissage sensorimoteur, et en particulier celui de la parole chez l’Homme, implique deux grand circuits cérébraux qui relient les aires corticales sensorielles et motrices : la boucle des GB, et la boucle cérébeleuse. Les contributions respectives de chacune de ces boucles (GB-thalamo-corticale et cerebello-thalamo-corticale) aux apprentissages sensorimoteurs restent aujourd’hui assez mal connues.

Chez l’oiseau la contribution du cervelet à l’apprentissage du chant chez l’oiseau reste aujourd’hui inconnue. J’ai récemment lancé un programme de recherche sur le rôle du cervelet et des interactions entre cervelet et GB, dans l’apprentissage du chant. Nos résultats préliminaires du groupe montrent qu’une voie liant le cervelet aux ganglions de la base est nécessaire à l’apprentissage du chant. Le rôle spécifique de cette voie doit maintenant être clarifié. Etant donnée la similarité entre l’apprentissage de la parole chez l’Homme et celui du chant chez l’oiseau, ce projet permettra d’avancer dans la compréhension des mécanismes physiologiques de l’apprentissage du langage. De plus, les réseaux neuronaux impliqués, homologues chez l’Homme et chez l’oiseau, sont également impliqués dans la maladie de Parkinson et les dystonies. Mieux comprendre le fonctionnement de ces structures pourrait donc permettre d’apporter de nouveaux éléments dans la compréhension de ces maladies.


L’oiseau chanteur : un modèle important et très prometteur pour les neurosciences aujourd’hui.

La musicalité, la diversité et la complexité des chants produits par les milliers d’espèces d’oiseaux chanteurs (passereaux) répartis sur l’ensemble des continents a fasciné les hommes depuis toujours, et l’étude de ces chants par les scientifiques date de plusieurs siècles. Chacune des espèces de passereau possède un répertoire de chant particulier, et, peut-être plus singulièrement, chaque oiseau possède un chant unique qui représente de ce fait une signature individuelle. Signal de communication acoustique entre les membres d’une même espèce, le chant est principalement utilisé pour la reproduction et la défense du territoire.

On sait depuis le milieu du siècle dernier que ces chants ne sont pas innés, mais appris par les jeunes oiseaux, conférant à ces milliers d’espèces d’oiseau une propriété extrêmement rare dans le règne animal et présente chez très peu de mammifères (cétacés, éléphants ou chauves-souris, et humain bien sûr) : l’apprentissage vocal, ou la capacité d’apprendre à reproduire les vocalisations produites par ses conspécifiques. Les oiseaux, comme les humains, apprennent en effet très jeune leurs vocalisations complexes par imitation d’un ou plusieurs adultes, au cours d’un processus d’essais et erreurs.
A l’instar des humains, une phase d’apprentissage perceptuel (écoute) guide la production, plus tardive, des vocalisations, et la capacité d’apprentissage baisse considérablement avec l’âge. Ce sont les travaux initiaux de William Thorpe et Peter Marler, de l’Université de Cambridge au RU, qui ont tout d’abord permis de montrer que le chant est un caractère acquis.
Depuis, il a été montré que des jeunes oiseaux peuvent apprendre un chant d’une autre espèce ou encore un chant enregistré ou produit de manière synthétique, que des manipulations comportementales permettent de réduire la durée de l’apprentissage à quelques jours, et qu’un apprentissage peut être induit chez l’adulte en manipulant le retour auditif.

Initialement focalisé sur le rôle du chant dans les interactions sociales et la contribution respectives de contraintes innées ou de traits acquis dans les vocalisations, l’étude du chant des oiseaux a pris une tout autre tournure lorsque Fernando Nottebohm et Arthur Arnold, de l’Université Rockefeller à NY, ont découvert que l’apprentissage du chant reposait sur un ensemble de régions du cerveau uniquement dédiées à cet apprentissage.
Ce circuit cérébral présentait des propriétés singulières qui marquèrent dans les décennies suivantes la communauté des neurosciences dans son ensemble.

D’une part, chez les espèces dont seul le mâle chante (la totalité des espèces dans les zones tempérées et une majorité des espèces tropicales), le circuit responsable de l’apprentissage et de la production du chant est presque inexistant chez la femelle, mettant en évidence un dimorphisme sexuel jusque-là jamais observé dans le système nerveux central.

D’autre part, chez les espèces saisonnières qui s’arrêtent de chanter à la fin de l’été et reprennent pour la période de reproduction suivante au printemps, ces zones du cerveau peuvent subir une perte de plus de la moitié du nombre de neurones présents à l’automne, puis une régénération de ces neurones au printemps suivant, révélant un renouvellement des cellules du cerveau (la neurogénèse), phénomène jusqu’alors très controversé chez les mammifères, et reconnu depuis chez l’ensemble des vertébrés et notamment chez l’homme.

Ainsi, l’étude du cerveau des oiseaux, et en particulier des réseaux cérébraux impliqués dans le chant, a pu faire avancer notre compréhension du fonctionnement du cerveau chez les vertébrés en général.
L’oiseau chanteur reste un modèle important et très prometteur pour les neurosciences aujourd’hui.

D’une part, l’étude des mécanismes cellulaire permettant la neurogénèse se poursuit chez les oiseaux saisonniers, du fait de leur taux spectaculaire de renouvellement neuronal.

D’autre part, les oiseaux chanteurs constituent l’un des rares modèles animaux pour étudier les mécanismes biologique de l’apprentissage vocal, les mammifères présentant ce trait étant généralement difficile à étudier en laboratoire (on imagine mal une étude physiologique chez l’éléphant ou la baleine). Mais plus particulièrement, c’est l’existence d’un circuit cérébral spécifiquement dédié à l’apprentissage du chant qui en font un modèle  de choix pour étudier les réseaux cérébraux permettant l’apprentissage vocal en particulier, et l’apprentissage sensorimoteur en général.

En effet, ces structures spécialisées dans l’apprentissage du chant font partie de régions cérébrales largement conservées au sein du cerveau des vertébrés, comme le réseau formé par les ganglions de la base. Si le cortex cérébral est spécifique aux mammifères (et particulièrement développé chez les primates), les structures cérébrales profondes (par ex ganglions de la base, cervelet) sont apparues plus tôt au cours de l’évolution et sont présentes chez l’ensemble des vertébrés, notamment chez les reptiles et les oiseaux.
La structure et les fonctions de ces régions cérébrales sont globalement bien conservées dans l’évolution, malgré certaines adaptations spécifique. En particulier, la boucle relative au chant dans le réseau liant ganglions de la base, thalamus et pallium (équivalent aviaire du cortex) chez l’oiseau chanteur est l’homologue de la boucle motrice ganglions de la base-thalamo-corticale chez les primates, comme l’ont montré de nombreuses études anatomiques, biochimiques et physiologiques. La combinaison chez l’oiseau d’un circuit GB-thalamo-cortical spécialisé et d’une sortie motrice stéréotypée et naturellement apprise, le chant, en font un modèle animal particulièrement adapté pour révéler les fonctions de ce réseau dans l’apprentissage moteur.

Les nombreuses similarités entre l’apprentissage du chant et de la parole, l’homologie des circuits neuronaux et la mise en évidence de gènes régulateurs commun comme le gène FoxP2, laissent penser que des mécanismes neuronaux similaires sont mis en jeu chez l’homme et chez l’oiseau. L’étude du rôle des GB dans l’apprentissage du chant chez l’oiseau pourra donc permettre de mieux comprendre les fonctions de ce réseau chez les mammifères et en particulier chez l’homme.

En conclusion, je dirai que l’étude du chant des oiseaux illustre parfaitement dont le but initial est de comprendre le comportement animal peut guider notre étude des fonctions du cerveau et peut finalement bénéficier, sur le long terme, à la recherche biomédicale.

Publications

A long journey into reproducible computational neuroscience.
Topalidou M, Leblois A, Boraud T, Rougier NP : Front Comput Neurosci, 2015

Interference and Shaping in Sensorimotor Adaptations with rewards.
Darshan R, Leblois A, Hansel D : PLoS Comput Biol, 2014

Social modulation of learned behavior by dopamine in the basal ganglia : insights from songbirds. Leblois A : J Physiol Paris, 2013

Interaction between cognitive and motor cortico-basal ganglia loops during decision making : a computational study.Guthrie M, Leblois A, Garenne A, Boraud T : J Neurophysiol, 2013

Striatal dopamine modulates song spectral but not temporal features through D1 receptors. Leblois A, Perkel DJ : Eur J Neurosci, 2012

Subthalamic deep brain stimulation increases pallidal firing rate and regularity
Reese R, Leblois A, Steigerwald F, Pötter-Nerger M, Herzog J, Mehdorn HM, Deuschl G, Meissner WG, Volkmann J : Exp Neurol, 2011

Striatal dopamine modulates basal ganglia output and regulates social context-dependent behavioral variability through D1 receptors.Leblois A, Wendel BJ, Perkel DJ : J Neurosci, 2010

Deep brain stimulation changes basal ganglia output nuclei firing pattern in the dystonic hamster.
Leblois A, Reese R, Labarre D, Hamann M, Richter A, Boraud T, Meissner WG : Neurobiol Dis, 2010

Millisecond timescale disinhibition mediates fast information transmission through an avian basal ganglia loop. Leblois A, Bodor AL, Person AL, Perkel DJ : J Neurosci, 2009


Arthur Leblois , précédemment : CR CNRS – Cen­tre de Neu­ro­physique, Phys­i­olo­gie et Patholo­gie – CNRS UMR 8119 Uni­ver­sité Paris Descartes/ Team : Cerebral Dynamics, Plasticity, Learning/ Research Interests : Normal and pathological dynamics of the Basal ganglia network. Rejoint l’IMN en Juin 2017 


Bio

Arthur Leblois rentre dans l’équipe de Thomas Boraud à l’IMN
Physicien de formation, les problématiques motivant mes travaux depuis ma thèse relèvent de la neurophysiologie intégrative,
mais je combine, pour les résoudre, des méthodes de neurosciences expérimentales (électrophysiologie, pharmacologie, analyse du comportement, histologie) et des méthodes et concepts empruntés à la physique (phénomènes critiques dans les systèmes purs ou désordonnés, mécanique statistique hors d’équilibre, analyse des effets de tailles finies, formation de structures spatio-temporelles…) ou aux mathématiques appliqués (analyse du signal). Des modèles théoriques sont construits en s’appuyant sur les données expérimentales disponibles, et les prédictions émergeant de ces modèles sont ensuite testées expérimentalement. Les compétences en neurosciences expérimentales acquises au cours de ma thèse et de mon post-doctorat me permettent d’élaborer les protocoles expérimentaux et de réaliser les expériences. Enfin, grâce à mon expérience en programmation, je développe les outils permettant l’analyse des données recueillies, souvent complexes.

Thèse de doctorat en Physique soutenue en 2006 sous la direction de David Hansel : Rôle de la compétition entre boucles fermées dans la dynamique du réseau extrapyramidal : approches neurophysique et neurophysiologique.

Publication: 12/05/17
Mise à jour: 17/05/19