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Entretien : Florian Pécune

Depuis la rentrée 2022, Florian Pécune occupe une Chaire de professeur junior (CPJ) au sein de l’unité SANPSY.
Spécialisé dans les interactions humain-machine et les agents conversationnels, son travail se situe à l’intersection de l’informatique et de la santé.

Bordeaux Neurocampus : Quel a été votre parcours avant d’arriver à SANPSY ?

Florian Pécune : Lors de mon master en sciences cognitives à Paris 8, j’ai été particulièrement intéressé par un cours sur les agents conversationnels animés, ces petits personnages virtuels qui interagissent avec des humains. J’ai ensuite effectué un stage dans le laboratoire du professeur qui avait proposé ce cours et j’ai adoré le sujet, l’ambiance et les missions. On m’a proposé par la suite d’y faire ma thèse sous la direction de Catherine Pelachaud à Telecom ParisTech. J’ai vraiment apprécié l’encadrement et le contenu scientifique qui consistait à créer un groupe d’agents virtuels capables d’accompagner des humains dans leur vie quotidienne. Il s’agissait de comprendre comment les humains pensent, interagissent et aident les autres, puis de transposer cette façon de raisonner dans un robot ou un personnage virtuel.

Après ma thèse, j’ai effectué un post-doctorat à Carnegie Mellon University (CMU) aux États-Unis, une institution de premier plan dans le domaine du traitement du langage naturel (Natural Language Processing – NLP) et du machine-learning.
Ensuite, je suis allé à l’Université de Glasgow pour travailler sur un agent conversationnel visant à changer les habitudes alimentaires des gens en les incitant à manger plus sainement.
Enfin après Glasgow, j’ai passé un an et demi à l’Université de Waseda à Tokyo au Japon, où j’ai travaillé sur un agent conversationnel animé destiné à aider les étudiants japonais à apprendre l’anglais. Le système devait apprendre en temps réel le niveau d’anglais de l’interlocuteur pour proposer des exercices adaptés.

Pouvez-vous nous donner un exemple de vos travaux sur les agents conversationnels ?

A Carnegie Mellon University par exemple, nous avons travaillé sur le projet « inMind » en collaboration avec l’entreprise Yahoo !. Le but était de créer un agent conversationnel animé capable de recommander des films tout en construisant une relation avec l’utilisateur pour le fidéliser. L’objectif de mon travail était de construire de l’engagement entre l’agent conversationnel et l’utilisateur, tout en optimisant la réussite de la tâche confiée au système de recommandation de films.

Ce qui m’a vraiment intéressé, c’est l’aspect linguistique : identifier les stratégies conversationnelles que les humains utilisent au quotidien pour construire du rapport (e.g. partager une information personnelle, faire une blague ou émettre une critique). Une fois ces stratégies identifiées, il fallait déterminer comment l’agent allait reconnaître si l’utilisateur les employait dans l’interaction en s’appuyant sur des informations linguistiques, sémantiques et syntaxiques, estimer en temps réel leur impact sur le rapport, et générer une réponse verbale et non-verbale appropriée. C’est là que le traitement du langage naturel entre en jeu, avec des outils comme les grands modèles de langues (LLM) sur lesquels s’appuie ChatGPT par exemple.

Quelles sont vos missions à SANPSY ?

L’unité a développé l’application Kanopée, qui permet d’évaluer son sommeil et ses consommations de tabac, alcool, écrans. L’idée est d’améliorer cette application pour la rendre la plus efficace possible et maintenir l’engagement des utilisateurs sur le long-terme. C’est en quelque sorte ma mission principale.
Nous travaillons aussi sur l’intégration de la voix de l’utilisateur, qui permet de détecter des éléments tels que la somnolence ou la dépression. L’idée est de comprendre comment intégrer une interaction vocale dans l’application pour aider au mieux les patients sans que cela nuise a leur expérience utilisateur.

Ce qui est intéressant, c’est que le domaine de la santé est très spécifique et que certaines des connaissances acquises durant mon parcours ne sont donc pas forcément applicables. Cela m’a poussé à changer mon point de vue et à me plonger dans un domaine que je ne connaissais pas : la psychiatrie et la santé mentale. Je travaille avec des médecins, des psychiatres, des psychologues et surtout des patients, ce qui m’oblige à adapter fondamentalement mes problématiques de recherche.

Il y a beaucoup de choses intéressantes autour de moi, avec de nombreux projets et personnes avec lesquelles je collabore. Je suis impressionné par la demande pour des compétences comme les miennes, notamment en informatique et en apprentissage automatique, dans le domaine de la santé. Il y a donc de nombreuses collaborations et projets très ambitieux en cours.

Comment voyez-vous se développer le secteur de la santé numérique ?

La médecine numérique semble être un domaine porteur, et je pense qu’il y a un besoin énorme d’intégrer des personnes ayant des compétences informatiques dans ce monde médical. L’imagerie numérique peut par exemple déjà aider à détecter des cancers et d’autres problèmes de santé, mais il y a encore énormément de données qui ne demandent qu’a être analysées.

L’une des difficultés est que les médecins et les informaticiens ne partagent pas forcement les même codes ni le même langage. Il faudrait donc créer plus de passerelles entre ces deux domaines afin de faciliter la collaboration. Notre défi est de faciliter le travail des médecins en créant des outils capables de servir d’intermédiaire auprès des patients et de leur donner accès a des informations qu’ils ne pouvaient tout simplement pas avoir jusqu’à présent.

Cependant, comment ces informations seront interprétées par les médecins reste incertain, et cela reste une de nos principales questions de recherche.
Pour le moment, nous nous concentrons sur le grand public, qui gère lui-même l’utilisation de l’application. Son intégration dans le système de santé actuel est plus complexe et soulève des questions sociétales, notamment tout ce qui est RGPD (règlement général sur la protection des données), éthique, sécurité.
Ce sont des problèmes plus globaux liés aux données informatiques. Je pense que nous n’en sommes qu’au début.

Avec l’adoption rapide et massive d’outils comme ChatGPT, ces questions sociétales se posent à nouveau. Quel est votre point de vue ?

Je trouve incroyable à quel point ChatGPT fonctionne bien. Quand je vois les progrès réalisés en deux ans, je me demande ce que l’on aura dans 5 ans. Est-ce qu’on atteindra un point où on ne pourra pas faire plus ?
Il y a des aspects éthiques et écologiques à prendre en compte, mais il y a aussi des applications exceptionnelles qui peuvent émerger grâce a ces outils, comme la détection du cancer grâce à l’imagerie numérique.
Je suis donc conscient qu’il y a des problèmes qu’il ne faut absolument pas négliger, mais je ne suis pas pour arrêter ces avancées.

Pensez-vous que votre métier va évoluer avec ces avancées technologiques ?

Oui, complètement. Auparavant, je voulais créer des versions améliorées de chatbots comme ELIZA qui a été conçu dans les années 60. Mais maintenant avec ChatGPT, je vois que cela évolue très rapidement : il est compliqué de rivaliser avec des géants comme Google ou META. Mais je peux essayer de cadrer, de comprendre et d’adapter ces outils à un public spécifique. C’est ainsi que je vois mon métier, en me concentrant moins sur l’aspect technologique et plus sur la compréhension des besoins et des envies des médecins et des patients.

Publication: 07/09/23
Mise à jour: 03/10/23