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Le rôle caché de la moelle épinière dans la sexualité

Source : CNRS biologie


© Constanze Lenschow & Ana Rita Mendes

Nous pensions que le cerveau gérait toutes les étapes de l’acte sexuel, à l’exception du réflexe éjaculatoire final, organisé dans la moelle épinière. De nouvelles découvertes chez la souris, publiées dans Nature Communications, démontrent à l’inverse que les circuits spinaux ne sont pas un simple relais passif ; au contraire, ils façonnent activement l’excitation sexuelle, l’accouplement et enfin l’éjaculation. Parmi les auteurs : Constanze Lenschow, Camille Quilgars et Sandrine Bertrand, de l’INCIA.

La moelle épinière n’est pas qu’un simple interrupteur de l’éjaculation

La moelle épinière ne se contente pas de déclencher l’éjaculation : elle façonne aussi le comportement sexuel masculin, révèle une étude publiée dans la revue Nature Communications.

Traditionnellement, on pensait que le cerveau contrôlait l’excitation, la parade nuptiale et l’accouplement tandis que la moelle épinière se limitait à déclencher l’éjaculation de façon réflexe. Un groupe de scientifiques démontre au contraire, chez la souris, que les circuits de la moelle épinière participent aussi à l’excitation, à l’accouplement et au rythme des rapports sexuels.

« La moelle épinière n’est pas simplement un relais passif exécutant les ordres du cerveau », explique Susana Lima, chercheuse principale du Laboratoire de Neuroéthologie de la Fondation Champalimaud au Portugal. « Elle intègre les signaux sensoriels, réagit à l’excitation et ajuste sa réponse en fonction de l’état interne de l’animal. »

Un circuit clé autour du muscle bulbospongieux

L’équipe s’est concentrée sur le muscle bulbospongieux (BSM), essentiel à l’expulsion du sperme. Lors de l’éjaculation, ce muscle se contracte selon un schéma bien défini.

En utilisant des souris génétiquement modifiées dont certains neurones de la moelle épinière (ceux qui produisent la molécule « galanine » et appelés neurones Gal+) brillent sous lumière fluorescente, les scientifiques ont montré que ces neurones Gal+ sont directement reliés aux motoneurones qui commandent le BSM. Des enregistrements électrophysiologiques, avec la technique du patch-clamp, ont confirmé que l’activation des neurones Gal+ stimule ces motoneurones grâce à une connexion utilisant le neurorécepteur glutamate.

En stimulant ces neurones Galpar la lumière (optogénétique) ou par courant électrique, les scientifiques ont provoqué des contractions du muscle BSM chez ces souris, mais sans garantir une éjaculation complète, contrairement à ce qui est observé chez le rat. De plus, des stimulations répétées entraînaient des réponses de plus en plus faibles, suggérant l’existence d’une phase réfractaire consécutive à l’activation musculaire.

Une vision révisée du contrôle sexuel

Ces neurones Gal⁺ reçoivent également des signaux sensoriels provenant des organes génitaux. Les scientifiques ont montré chez des souris mâles « spinalisés », c’est-à-dire dont le cerveau est déconnecté de la moelle épinière, qu’une simple stimulation du pénis active à la fois les neurones Gal⁺ et les motoneurones du BSM. Cela démontre que les signaux génitaux atteignent ce circuit spinal sans intervention du cerveau. De plus, des effets plus marqués étaient observés lorsque les signaux cérébraux étaient absents (chez des souris spinalisées), ce qui implique que le cerveau exerce normalement un contrôle inhibiteur sur ce circuit spinal, jusqu’à ce que les conditions pour l’éjaculation soient réunies.

Lorsque les scientifiques ont désactivé sélectivement les neurones Gal+, le comportement des souris mâles a changé : éjaculation retardée, accouplements plus fréquemment manqués et rythme des rapports perturbé. La contribution de ce circuit semble donc aller au-delà de la simple mécanique de l’éjaculation pour jouer un rôle actif dans l’ensemble du comportement sexuel.

Ces résultats remettent donc en question l’idée selon laquelle l’éjaculation serait simplement un réflexe exécuté après un feu vert du cerveau. Au contraire, le déroulement de l’acte sexuel semble façonné par un dialogue continu entre les signaux sensoriels, l’état interne (y compris le fait qu’une éjaculation ait précédemment eu lieu ou non) et les circuits spinaux. Au cœur de ce processus, les neurones Gal⁺ apparaissent comme de véritables intégrateurs, capables de « décider » quand activer le schéma moteur en fonction des signaux reçus et de l’état physiologique de l’animal.

© Constanze Lenschow & Ana Rita Mendes

Figure : Activité des neurones à galanine de la moelle épinière en relation avec la phase de l’acte sexuel chez la souris mâle. L’activation de ces neurones spécifiques augmente progressivement tout au long du cycle jusqu’à déclencher l’éjaculation.

Référence

Constanze Lenschow, Ana Rita P. Mendes, Liliana Ferreira, Bertrand Lacoste, Hugo Marques, Nicolas Gutierrez-Castellanos, Camille Quilgars, Sandrine S. Bertrand & Susana Q. Lima
A galanin-positive population of lumbar spinal cord neurons modulates sexual arousal and copulatory behavior in male mice.
Nat Commun. 2025 Sep 23;16(1):8282. doi: 10.1038/s41467-025-63877-2. PMID: 40987787.

Contact

Constanze Lenschow
Chargée de recherche CNRS
Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine (INCIA – CNRS/Université de Bordeaux)

En 2008, Constanze Lenschow a obtenu une licence en biologie à Marbourg (Allemagne), puis un master en « Neurobiologie et comportement » à l’Université libre de Berlin (Allemagne). Durant ce master, elle a passé deux ans à l’INCIA à Bordeaux avec Sandrine Bertrand, où elle a étudié la plasticité de la moelle épinière chez la souris. Revenue à Berlin pour son doctorat, elle s’est intéressée à l’influence des contacts sociaux et sexuels sur les neurones du cortex cérébral. En 2017, elle a été post-doctorante à l’Institut Champalimaud de Lisbonne, où elle a travaillé sur les circuits neuraux de la moelle épinière liés au comportement sexuel. À l’été 2022, elle est devenue professeure de Biologie des circuits neuronaux à l’université Otto‑von‑Guericke de Magdebourg, poste qu’elle occupe pendant deux ans. Depuis février 2025, elle est chargée de recherche à l’INCIA. Ses travaux portent sur les interfaces entre circuits neuronaux et comportements sociaux, explorant comment le cerveau influence nos fonctions corporelles — notamment le comportement sexuel — et inversement.

Publication: 24/09/25
Mise à jour: 25/09/25